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Photo du rédacteursandrine gourdy

Une version aboutie de soi-même existe-t-elle ?


Les ouvrages de développement personnel adorent raconter des histoires de personnesqui,en changeant avec le temps, sont enfin devenues qui elles souhaitaient être...

Seul problème : on ne reste pratiquement jamais « figé » dans la meilleure version possible!


Comme tous les genres littéraires, le développement personnel a ses classiques.

Celui d’une transformation vécue personnellement par l’auteur, sur le modèle éprouvé d’un « après » mis en contraste avec un « avant » peu enviable, est incontournable.


Ce qui relève de l’« avant » est par définition peu glorieux : une vie insatisfaisante, superficielle, déprimée, marquée par la maladie, etc. ; puis une rédemption à la suite d’une prise de conscience salvatrice. « Avant, je me nourrissais de manière malsaine, j’étais obsédée par le travail, je ne pensais pas à moi, je souffrais d’accès de boulimie…


Maintenant, je suis apaisée, épanouie, j’ai découvert un sens à ma vie, je m’intéresse aux autres et j’ai retrouvé la forme. » S’ensuit la description de l’expérience ayant contribué à ce miracle, élevée au rang de méthode universelle. « Faites comme moi et votre vie se transformera ! »

Soit ! Admettons qu’il y ait un avant et un après bien différenciables. Mais qu’y a-t-il après l’après ? Que se passe-t-il une fois la conversion opérée ? La transformation est-elle durable, définitive ? De fait, rares sont les ouvrages de ce type à proposer un tome II, basé sur une re-conversion. Pourtant, il serait intéressant de vérifier si la métamorphose se maintient dans la durée. Ou si le naturel revient, lentement mais sûrement. La question de fond est donc la suivante : les changements profonds, au niveau de notre personnalité, sont-ils possibles et, si oui, sont-ils stables à long terme ?


Faire évoluer sa personnalité… Vraiment ?

L’évolution de la personnalité est un vrai sujet de recherche en psychologie. Sur ce plan, les chercheurs ont établi que celle-ci changeait bel et bien avec le temps. Pour le mettre en évidence, ils utilisent des tests mesurant les traits de personnalité, en particulier les cinq grands traits qui spécifient au mieux les différences interpersonnelles, les fameux Big Five : l’extraversion, l’ouverture à la nouveauté, la stabilité émotionnelle, le contrôle et l’agréabilité. Une métaanalyse, publiée en 2006 et basée sur 92 échantillons couvrant de très longues durées, suggère qu’avec l’âge les gens deviennent en moyenne plus agréables (amélioration surtout marquée après la cinquantaine), plus consciencieux, et qu’ils gagnent en confiance en eux (ce qui constitue une facette de l’extraversion).

Alors que les jeunes adultes voient surtout leur stabilité émotionnelle se renforcer, les aînés voient se réduire leur ouverture à la nouveauté. Globalement, la personnalité semble se bonifier au fil de la vie. C’est en tout cas ce que disent les statistiques, indépendamment des cas particuliers.

Mais attention aux conclusions hâtives ! C’est une chose de montrer que, globalement, les gens s'investissent davantage dans les relations avec les autres et connaissent moins d’émotions déplaisantes au cours de la vie, mais cela ne dit encore rien sur la manière dont ces changements se concrétisent. C’est que les études longitudinales présentent un talon d’Achille : elles mesurent des différences sur le long terme, mais ne parviennent pas à capter la dynamique du changement. Évolue-t-on graduellement, par petites touches progressives, ou par à-coups marqués, comme des paliers que l’on franchirait ? A-t-on affaire à une concrétion lente et progressive de petites transformations anodines ou à de profonds bouleversements consécutifs à des événements de vie marquants, suivis de périodes plus stables ? Des études supplémentaires sont encore nécessaires pour répondre à cette interrogation.

Les chercheurs ont cependant déjà mis le doigt sur un phénomène réjouissant : les personnes qui souhaitent vraiment changer y parviennent. Une méta analyse combinant une douzaine d’études longitudinales impliquant plus de 2 200 sujets sur plusieurs mois atteste que des objectifs de changement important prédisent des améliorations marquées, cela dans les cinq traits de personnalité, mais surtout au niveau de la stabilité émotionnelle et de l’extraversion. Le développement personnel durable est donc possible (surtout s’il est accompagné par une psychothérapie à l’efficacité éprouvée). Autrement dit, des personnes plutôt timides qui se prennent en main et décident de devenir plus extraverties y arrivent généralement. De même pour les personnes qui sont souvent tristes et anxieuses, et qui souhaitent vivre des émotions plus douces et plus stables.


On peut devenir génial, mais on ne le reste pas forcément

L’évolution de la personnalité, et non son immuabilité, semble la règle. Ce caractère dynamique s’oppose par conséquent à l’idée d’un vrai moi qu’il faudrait découvrir, qui se révélerait au grand jour une fois pour toutes : aucune donnée empirique ne permet de soutenir une telle assertion. L’idée d’un vrai moi s’apparente à une chimère ou à un conte de fées à happy end. Une histoire aussi belle que celle de Michel-Ange qui disait voir la forme contenue dans le bloc de marbre brut qu’il allait sculpter, comme si son Moïse préexistait déjà avant qu’il ne le débarrasse de sa gangue de pierre. Sous les couches d’influences sociales subies au fil des ans, nous aurions une véritable personnalité qui ne demanderait qu’à se manifester, l’essence de nous-mêmes.

L’idée d’une version aboutie de nous-mêmes est en tout cas séduisante. Une étude astucieuse l’a mise en évidence en 2013. Pour ce faire, Jordi Quoidbach et ses collègues ont utilisé une base de données regroupant les évaluations de 7 500 sujets.

La moitié devait se projeter dix ans dans le futur alors que les autres devaient se remémorer qui ils étaient dix ans auparavant. Leurs réponses ont ensuite été comparées avec leur état présent.



Résultat : les gens pensent qu’ils changeront moins qu’ils n’ont déjà changé (avec un effet plus marqué chez les plus jeunes : ils anticipent davantage leur évolution que les plus âgés). Nous aimons considérer que nous avons changé, évolué, mûri, mais nous estimons que nous ne changerons plus (autant) à l’avenir, comme si nous étions actuellement la version la plus aboutie de nous-mêmes. Les chercheurs parlent d’« illusion de la fin de l’histoire » pour nommer ce biais cognitif. Il semble bien que nous ayons du mal avec le passage du temps. Si nous admettons volontiers avoir changé (nous ne sommes plus pareils à l’enfant ni à l’ado rebelle d’autrefois), nous nous plaisons à nous concevoir maintenant comme stables, ou stabilisés. Sans cela, personne ne se ferait tatouer ni ne se marierait…

Cette brève réflexion permet de mettre en évidence les éléments clés du mythe de la conversion définitive : l’évolution des traits de personnalité est la norme, les transformations volontaires en profondeur sont possibles, nous croyons être l’aboutissement de nous-mêmes et ne plus changer à l’avenir.

Tout y est pour écrire de belles histoires basées sur le scénario d’un avant et d’un après. On comprend dès lors mieux le succès de ces ouvrages qui trônent sur les rayons consacrés au développement personnel. Mais, contrairement à toutes les belles histoires qui se terminent avec le mot « fin », nous continuons d’évoluer jusqu’à notre mort, même après une conversion, si spectaculaire soit-elle, et pas forcément dans le bon sens. Pour connaître de près l’univers du développement personnel, je peux témoigner que l’après-conversion est loin d’être un long fleuve tranquille. Et qu’il n’est pas rare que le crapaud hideux devenu prince charmant redevienne le simple batracien qu’il avait relégué dans les oubliettes de sa mémoire…

Source: Cerveau & Psycho


Yves-Alexandre Thalmann est professeur de psychologie au Collège Saint-Michel et collaborateur scientifique à l'université de Fribourg, en Suisse.

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