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Photo du rédacteursandrine gourdy

Evoluer grâce à l’impermanence (1re partie)


ISBN : « Sagesses Bouddhistes » du 16 septembre 2007

Édition : Invités : Lama Lhundroup (Le Bost) et Dr Christophe André

Extraits de l’émission :

Aurélie Godefroy : Le concept d’impermanence occupe une place centrale dans la pensée bouddhique. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Quelles sont les pratiques qui peuvent nous faire prendre conscience de cette impermanence et pourquoi est-ce important ? Comment cela peut-il nous conduire à une vision plus profonde de la réalité et donc à une plus grande liberté ? Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans le premier volet de ces deux émissions, consacrées à l’impermanence et à son rapport avec le bonheur.

Avec nous, pour en parler, le Dr. Christophe André. Vous êtes psychiatre à l’hôpital St Anne à Paris. Vous avez publié de nombreux ouvrages, notamment à ce sujet et vous revenez de Dharamsala, où vous avez participé à la huitième rencontre sur les neurosciences, organisée par Sa Sainteté le Dalaï Lama. Lama Lhundroup, vous résidez au monastère de Dhagpo Kundreul Ling au Bost, où vous dirigez de nombreuses retraites et où vous traduisez aussi des textes en tibétain. Vous êtes médecin de formation et vous participez à des groupes de réflexion entre psychiatres et lamas.


Pour commencer cette première émission consacrée à l’impermanence, est-ce que vous pourriez nous expliquer ce que ce mot signifie et nous donner peut-être quelques exemples, Lama Lhundroup ?


Lama Lhundroup : A ma connaissance, l’impermanence n’est pas un mot du dictionnaire français. C’est un terme inventé par les bouddhistes pour décrire le changement, en fait qu’il n’y a rien de permanent. Donc pour nous, cela signifie toute la vie. Des exemples ? Lorsque je me regarde moi-même : j’étais jeune, mon visage sans rides et maintenant, voilà ! Les cernes avancent, l’âge et ensuite on va être vieux et ensuite mort. Tous ces exemples nous accompagnent tous les jours.


A.G. : Quelle définition, vous donneriez, Christophe André, de l’impermanence, en tant que psychiatre ?


Dr Christophe André : En tant que psychiatre, en réalité, on est plutôt confronté à l’inverse de l’impermanence. On voit beaucoup de souffrance liée à la conviction de la permanence. Certaines personnes par exemple sont très anxieuses ou très déprimées. Ce qui est douloureux pour elles, ce n’est pas seulement de souffrir d’anxiété ou de cette tristesse pathologique qu’est la dépression, mais c’est surtout d’avoir l’impression que cela ne s’arrêtera jamais, que cette souffrance est encastrée, va être permanente et va les accompagner tout au long de leur vie. Evidemment, de l’extérieur, on voit que c’est impermanent, que ces tristesses et ces peurs vont finir par refluer, elles reviendront peut être, mais elles reflueront à nouveau, et au fond le grand défi de l’aide psychologique ou de la psychothérapie, c’est de faire passer cette notion d’impermanence, même si, dans notre vocabulaire à nous, psychiatre ou psychothérapeute, ça n’est pas quelque chose de souvent utilisé, comme vous le disiez.C’est un mot artificiel, c’est une construction pour mettre en garde contre la conviction que tout ce qui nous entoure et tout ce que nous vivons est permanent. Donc nous, on est plutôt confronté au problème de la conviction dans la permanence, notamment de la souffrance.


A.G. : Lama Lhundroup, pourquoi ce concept d’impermanence occupe-t-il une place primordiale, dans la pensée bouddhique ?


Lama Lhundroup : La prise de conscience des choses qui ne vont pas durer est la cause d’une grande souffrance. Quand on vit un moment de bonheur et que cela change, on souffre : c’est le chagrin d’avoir lâché des instants agréables pour autre chose, pas forcément désagréable d’ailleurs, mais simplement, on ne peut pas contrôler ce que nous avons dans nos mains, maintenant. Les fleurs vont faner, ma jeunesse va partir, toute rencontre va finir en séparation. Tout cela, ce sont des raisons pour qu’il y ait beaucoup de souffrance, parce qu’on ne veut pas accepter ce changement continuel, qui est notre vie. C’est la première raison, je crois, qui explique pourquoi l’impermanence occupe une place centrale. Et la deuxième, c’est grâce à l’observation de ce changement qu’on arrive à des conclusions très importantes sur la réalité : finalement rien, nous-mêmes, nos pensées, nos émotions, notre être fondamental, mais aussi les choses de l’extérieur, n’a de substance, car tout change à tout moment. Et cette compréhension de non substance, de non existence véritable, dans le sens d’un noyau qui ne changera jamais, est très importante dans le bouddhisme. C’est ce qu’on appelle la vacuité, l’absence du soi. Donc, pour ces deux raisons : pour éviter la souffrance et pour arriver à une compréhension plus profonde de la réalité, c’est pour cela, je crois, que l’impermanence occupe une place centrale.


A.G. : Et c’est central également, car cela permet à amener à plus de clarté et à stabiliser l’esprit aussi, en quelque sorte ?


Lama Lhundroup : Bien sûr. Plus nous sommes en contact avec la réalité, et plus stable sera notre esprit et plus ouvert aussi.




A.G. : Dr Christophe André, quels conseils donneriez-vous pour prendre conscience de cette impermanence ? Quels conseils pouvez-vous donner à vos patients ?


Dr Christophe André : Ce qu’on voit, c’est que cela n’est pas si facile. J’ai le sentiment que la plupart des êtres humains, au départ, de façon naturelle et spontanée, ont besoin de la permanence, ont besoin de repères, ont besoin de l’illusion d’évoluer dans un monde stable, d’être des créatures stables. Et on a besoin de cela à un moment donné, pour nous construire, Et puis, à un moment donné aussi, il faut grandir, il faut devenir adulte et donc, il faut comprendre qu’effectivement, tout va passer, tout va changer, tout va imperceptiblement se modifier, chaque instant qui passe, chaque échange, chaque discussion nous rend différent. Et cela, c’est douloureux, c’est quelque chose de particulièrement angoissant. C’est pour cela que la plupart d’entre nous, spontanément, avons plutôt tendance à nous accrocher à l’illusion qu’au fond cet amour, que l’on a rencontré, durera toute la vie, que cette démocratie, dans laquelle nous vivons, sera permanente. Et quand il y a des oscillations, que les choses changent, évidemment, on est très inquiet. Donc la notion qu’il faut accepter les changements et les évolutions, c’est effectivement une prise de conscience, comme vous le disiez, mais je crois que cela va même au-delà de la prise de conscience, c’est un travail très régulier.


A.G. : Concrètement, que donneriez-vous comme conseils, pour mieux cerner cette impermanence et donc, pour mieux vivre ?


Dr Christophe André : Comme pour tous les apprentissages, quand on veut apprendre une pratique - la conscience de l’impermanence est une pratique - on a à faire cela dans des périodes de notre vie où il n’y a pas trop de souffrance, de chaos. On ne peut pas apprendre à nager au moment où on est en train de se noyer. Donc, c’est vrai que, quand on travaille avec des patients anxieux ou déprimés, sur cela, on utilise par exemple des techniques de méditation, de pleine conscience. On leur apprend à garder leur esprit dans l’instant présent, à observer le flux de leurs émotions, le flux de leurs pensées, à voir comment elles se modifient, comment elles se réactivent. Et on apprend ces techniques plutôt dans les périodes où les gens ne vont pas trop mal. Ce sont un peu des techniques de prévention de la souffrance. Quand les gens souffrent vraiment, on a du mal à leur parler de permanence ou d’impermanence, parce qu’ils sont dans des réactions d’accrochage et de défense, très dures à mobiliser. Par exemple, c’est vrai que ce qu’on appelle la thérapie cognitive - c’est-à-dire apprendre aux personnes que ce qu’ils ressentent, est souvent lié davantage à leurs convictions et à leurs pensées qu’aux événements eux-mêmes - la méditation, tout cela sont des techniques qui vont aider les gens à avoir un rapport plus souple, plus distancé avec cette réalité à laquelle ils vont peut-être moins s’identifier. Cela ne veut pas dire avoir une distance totale. On est engagé, on a des convictions. Mais peut être une distance suffisante pour diminuer en partie les souffrances.


A.G. : Lama Lhundroup, plus particulièrement dans la pratique bouddhiste, est ce qu’il existe des choses à faire, à part la méditation peut-être, pour mieux comprendre cette impermanence ? C’est peut-être un travail sur le corps, l’esprit ?


Lama Lhundroup : On commence avec le corps, cela c’est la base. On commence en s’asseyant dans un fauteuil comme ça, en respirant, en restant conscient d’avec la respiration, le va et vient du souffle, et on remarque le changement, il n’y a pas un souffle qui soit pareil que l’autre. Et on remarque en même temps tout ce qui change dans le corps. Et sur cet arrière plan, on remarque ce qui change dans l’esprit. On remarque les pensées qui se lèvent, et ensuite on peut regarder devant soi.


A.G. : Donc, les autres, la nature, ce qui nous entoure ?


Lama Lhundroup : oui… on regarde juste la poussière qui tombe, face au rayon du soleil. Tout ce qu’on regarde, rien n’est comme c’était un instant avant. Il y a des changements qui sont presque imperceptibles à nos yeux. Il faut regarder sur de plus grandes distances d’autres changements, c’est vraiment à chaque seconde. On regarde la nature, on peut aussi juste ouvrir un journal. Le journal, c’est le changement, c’est l’impermanence.


A.G. : Alors, inversement, quel impact peut avoir cette prise de conscience de l’impermanence sur nos pratiques dans le bouddhisme ?


Lama Lhundroup : L’impact est très fort. Quelqu’un qui a pris conscience de la non permanence, du changement, va entrer dans une situation, sans cette croyance qu’elle va durer. Quand on se lie avec une personne, on sait que tout va changer. On ne peut maintenir rien de stable dans cette relation. Il faut être frais d’un jour à l’autre pour découvrir ce qui amène la vie. Il y a toute une ouverture qui se créée grâce à cette prise de conscience de l’impermanence. Il y a des lâchers prise qui deviennent beaucoup plus faciles, quand quelqu’un meurt, qu’il y a un chagrin.


A.G. : Justement, en quoi le fait de méditer sur l’impermanence et la mort, peut être plus une source d’apaisement que de tristesse ?


Lama Lhundroup : Le départ de quelqu’un n’est jamais une source de joie, rarement, mais cela ouvre pour autre chose qui peut arriver.. C’est un nouveau début. Ce qui est le plus dur, c’est quand on lutte contre le fleuve de la vie et qu’on ne veut pas accepter les changements. Et quand la force de la vie nous montre qu’elle est la plus forte, alors là, c’est dur. Alors que, comme vous dites, quand on apprend à nager avec le fleuve, c’est beaucoup mieux, c’est beaucoup plus facile, l’esprit est plus léger et plus joyeux.


A.G. : Dr Christophe André, pour terminer cette émission, on peut revenir sur ce que disait Lama Lhundroup : en quoi la contemplation de la mort finalement peut être plus une source d’apaisement que de détresse, lorsqu’on pense à l’impermanence ?


Dr Christophe André : C’est une source d’apaisement quand vraiment on a fait tout le travail dont Lama Lhundroup parlait, parce qu’au départ, justement, on fait des efforts terribles pour ne pas accepter l’idée que tout va disparaître, que nous, nous allons disparaître, que les gens que nous aimons vont disparaître. Donc, tant qu’on est dans cette idée, tant qu’on est dans l’envie, l’illusion que ça ne va pas changer, on se fait croire cela, tout en sachant que c’est un mensonge, alors l’idée de la mort est douloureuse. C’est vrai qu’on fait souvent des exercices. Par exemple, en psychothérapie, on va avec nos patients dans les cimetières, on s’assied, on discute ouvertement de notre mort, de la leur, de la mort des personnes qui leur sont chères. On voit très bien qu’au début, cela provoque beaucoup de tristesse, beaucoup de peur et c’est normal. Car ça n’est pas un don naturel, cette espèce de sagesse, de tranquillité face à la mort. Mais après, peu à peu, en répétant ces exercices, en leur demandant de méditer chaque jour un peu plus sur cela, on s’aperçoit d’un effet paradoxal : cela leur apprend à aimer davantage la vie et qu’au fond, on profite davantage de l’instant présent, de la vie telle qu’elle se présente à chaque moment, si on a réglé cette peur de la mort. Tant qu’on ne l’a pas réglé, on est dans un rapport inconfortable à la vie, parce que cette peur de la mort reste en arrière plan inconscient.


A.G. : Je vous remercie infiniment tous les deux.

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